Jazz Samba

11/07/2005 04:38
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Petite plongée aux origines de la Bossa Nova, qui cartonne chez nous!

Bossa nova, une passion française
LE MONDE | 09.07.05 | 14h26

L'auriverde, - le jaune et le vert - est à la mode en France. Avec le mannequin Gisele Bundchen en ambassadrice de charme, les grands magasins montent des opérations spéciales avec offres exceptionnelles sur les maillots, de bain ou de football. Le Brésil évoquera toujours les plages de Copacabana et le stade de Maracana, le carnaval de Rio et ses métisses en plumes, se déhanchant sur des tambours de samba. En matière d'exotisme de pacotille, la France a aggravé son cas. C'est ici que fut inventée la lambada, artefact d'un air bolivien travesti en danse brésilienne par TF1 et une marque de boisson gazeuse. Ici aussi qu'une chanson mineure de Chico Buarque (Essa Moça tâ Diferente ) devient un tube tardif grâce à une publicité sexy.

Pour autant, la France aime durablement la musique populaire brésilienne. "De tous les pays d'Europe jusqu'où la vague bossa-nova a pu rouler, il semble que ce soient la France et l'Italie qui lui aient réservé le meilleur accueil" , note dans Brasil Bossa Nova (Edisud, 1988) l'écrivain journaliste Jean-Paul Delfino, auteur du roman Corcovado (Métailié, 408 p., 20 €;). Surprenante pour une nation non lusophone, cette passion a été entretenue par les quêtes individuelles de passeurs obstinés. Le premier d'entre eux se nomme Pierre Barouh, fondateur de la maison de disques et de la librairie Saravah. De son troisième voyage au Brésil, en 1969, il a rapporté un document précieux, Saravah , qui vient d'être édité en DVD (Frémeaux). En trois jours de tournage, il a pu filmer le vétéran - et monument - Pixinguinha, les jeunes Baden Powell, Maria Bethania et Paulinho da Viola à l'aube de la gloire.
Barouh quitte en 1959 son quartier général de Saint-Germain-des-Prés et file en stop au Portugal. A Lisbonne, il rencontre Sivuca, un musicien nordestin qui l'initie, et achète dans la foulée le disque Chega de Saudade , nouveauté d'un chanteur-guitariste nommé Joao Gilberto. "J'ai usé les sillons jour et nuit sur mon Teppaz, se souvient Barouh. Je n'avais jamais imaginé des enchaînements harmoniques pareils. Mon colocataire dans le quartier du Barrio Alto était un guitariste belge de jazz, qui avait joué avec Stan Getz. En entendant Desafinado , il a fait cette remarque prémonitoire : "Si Getz s'en empare, c'est un carton planétaire"." En 1964, le fameux disque Getz-Gilberto lancera la vogue internationale de la bossa-nova.
Barouh embarque sur un cargo en route pour le Brésil, décidé à rencontrer le trio infernal à l'origine de Chega de Saudade : outre Joao Gilberto, le compositeur Tom Jobim et le poète diplomate Vinicius de Moraes. Trois jours d'escale à Rio n'y suffiront pas. Revenu à Paris, Barouh devient VRP de la bossa naissante, fait écouter son sésame à tous ceux qu'ils croisent Michel Legrand et Georges Moustaki seront les premiers conquis. Un soir, dans un bistrot de Paris, il chantonne à un ami un air de la diva carioca Dolorès Duran. "A la table d'à côté, une femme dresse l'oreille : "Comment pouvez-vous connaître ça ?" Elle m'invite le lendemain à une petite fête chez elle, rue Suger. J'y trouve Vinicius et Baden Powell. J'avais fait 9 000 kilomètres pour rien !"
Barouh se lie d'amitié avec les deux Brésiliens et travaille derechef à des adaptations de leurs chansons. La plus célèbre, Samba Sarava (d'après Samba da Bençao ), fut enregistrée à Rio chez le guitariste Baden Powell, génie de l'afro-samba. A 8 heures du matin, peu avant le départ de Barouh. A Orly, il est accueilli par Claude Lelouch. Le cinéaste écoute Samba Sarava et décide de l'intégrer derechef dans Un homme et une femme (1966) qui triomphe au Festival de Cannes.
EN 1959, une autre Palme d'or française avait déjà révélé la beauté de la bossa. Réalisé à partir d'une pièce de Vinicius de Moraes transposant le mythe d'Orphée et Eurydice dans les favelas, Orfeu Negro de Marcel Camus, permit de diffuser les chansons de Luiz Bonfa et de Tom Jobim. Décrié aujourd'hui pour son angélisme, le film a eu le mérite de sensibiliser le public à la saudade - mélancolie rêveuse -, quand l'exotisme "festif" était de mise. Genre Si tu vas à Rio de Dario Moreno.
Le malentendu sur l'identité brésilienne est ancien, puisqu'on en trouve trace dès La Vie parisienne d'Offenbach (1866) avec l'air Je suis Brésilien, j'ai de l'or. Au début du XXe siècle, l'intérêt vaut surtout pour la danse. Une mode fait fureur à Montmartre et à Montparnasse, le maxixe ou "tango brésilien." La vedette en est le Duque, un ancien dentiste qui ouvre un cours et une boîte. Le succès est tel qu'il entre en concurrence avec le tango argentin.
En 1922, le Duque fait venir les Batudas, l'orchestre de Pixinguinha. Programmés pour une semaine au cabaret Le Schéhérazade, les musiciens y resteront six mois. Capitale européenne du jazz, Paris s'amourache de cette confrérie joyeuse et explosive qui rivalise avec les big bands américains.
L'attrait de la samba touche même la musique savante. Secrétaire de Paul Claudel lors d'une mission consulaire au Brésil, le compositeur Darius Milhaud en rapporte Le Boeuf sur le toit , ballet pour orchestre créé en 1919 avec Jean Cocteau. L'oeuvre prête encore aujourd'hui à polémique : n'est-elle pas un pur plagiat (le premier d'une longue série), sous forme de collage, des airs d'une dizaine de musiciens brésiliens notamment le sambiste Donga ?
La seconde guerre mondiale resserre les liens entre musiciens des deux pays. Neutre, le Brésil accueille les tournées de Jean Sablon (qui interprétera plus tard Aquarela do Brasil et des compositions de Dorival Caymmi) et de Ray Ventura et ses Collégiens. Dans cet orchestre, il y a alors un guitariste nommé Henri Salvador, qui résidera à Rio de Janeiro jusqu'en 1944. Le Guyanais se souvient du premier concert au Copacabana Palace : "Il y avait 40 musiciens tropicaux sur scène et nous offrions 40 minutes de jazz. Le premier soir s'est mal passé, le public avait un masque de mort . Ventura m'a dit : "Sauve-nous !" J'ai fait une imitation de Popeye et le lendemain, j'étais en première page du journal. Ils ont pensé que j'étais brésilien à cause de la couleur de peau !"
En 1941, Ventura gagne Hollywood. Salvador reste à Rio, apprend le brésilien en quinze jours, joue au casino d'Urca. Le patriarche qui participera le 13 juillet, place de la Bastille à Paris, à un grand concert brésilien, a-t-il, comme il le laisse entendre, "inventé" la bossa-nova avec sa chanson Dans mon île (1957) ? Tom Jobim aurait eu l'idée de ralentir le tempo de la samba après avoir vu le film italien pour lequel fut composé ce boléro.

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